Le spectacle « La Guerre des Pauvres » ne pourra accueillir de public mais est maintenu en streaming les 14 & 15 avril (uniquement). Lien de visionnage ici.
La Guerre des pauvres d’Éric Vuillard raconte dans un élan fiévreux la révolte de la paysannerie allemande entre 1524 et 1526. C’est le récit effréné d’un ras-le-bol, d’une colère et d’une marche à l’abîme, qui s’achèvera dans le sang.
C’est une mise en espace et en voix de ce texte que propose la chorégraphe Olivia Grandville, artiste associée au lieu unique, pour cette nouvelle création.
Le comédien Laurent Poitrenaux incarne de tout son corps ce texte fulgurant qui concentre en une soixantaine de pages le souffl e de l’épopée. Sur l’écriture pleine d’implicites de Vuillard, qui traverse les époques pour résonner au présent, s’organisent par plans successifs les paysages sonores des musiciens Villeneuve et Morando, l’installation organique de Denis Mariotte et les incantations des danseurs. Si le soulèvement est une fl ambée fugace et une forme destinée à se défaire, il n’en reste pas moins l’élan vital nécessaire à tout mouvement.
Comment votre intérêt s’est-il arrêté sur La Guerre des pauvres d’Éric Vuillard ?
Je connaissais l’œuvre d’Éric Vuillard depuis Tristesse de la terre que j’ai lu au moment de la création d’À l’Ouest (spectacle présenté au lieu unique en 2018). Qu’il explore la question du colonialisme (Conquistadors, Tristesse de la terre, Congo), de la monarchie (14 juillet) ou de la responsabilité du grand capital dans le financement des guerres (L’ordre du jour), Éric Vuillard parle des effets des agressions du passé sur les corps et les esprits, transmises et restées vivaces. J’aime ce rapport à l’histoire. Depuis quelques temps j’avais un peu mis de côté ma relation à la littérature pour creuser des questions plus franchement chorégraphiques, mais ça me manquait… En découvrant La Guerre des pauvres, la résonance actuelle de cette guerre religieuse, économique et sociale contre la domination de principe et l’accaparement des richesses ; la brièveté et le souffle du texte ont arrêté mon choix. S’y engouffre tout notre imaginaire contemporain : d’Alger à Hong Kong de Paris à Sao Paulo, du XVe au XXIe siècle, les insurrections populaires se ressemblent et se rassemblent dans des représentations qui se font écho.
Quel potentiel chorégraphique avez-vous trouvé dans ce texte ?
L’écriture d’Éric Vuillard est éminemment visuelle, picturale et même cinématographique, le texte fait surgir des images de Peter Bruegel, Jan Van Eyk, Francisco de Goya, mais aussi des scènes de bataille à la Game of Thrones. En cela, c’est l’imaginaire du texte même qui est chorégraphique. Mon travail ici, s’inscrit dans une démarche d’écriture de plateau. C'est une forme de « lecture concertante » : la musique de Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando fonctionne comme un travelling sonore, qui joue en arrière-plan de la voix de Laurent Poitrenaux, ou la submerge parfois. Moi, j’orchestre les éléments : la danse portée par Martin Gil et Eric Nebie, le dispositif mécanique et vivant de Denis Mariotte, l’architecture lumineuse d’Yves Godin. Mon choix chorégraphique réside pour beaucoup dans celui des deux danseurs qui, par leur jeunesse, leur vitalité et leurs origines (Argentine et Burkina Faso), déplacent le récit historiquement et géographiquement pour l’inscrire dans un présent commun. Leur danse incarne cette flambée forcément fugace qu’est l’insurrection : l’éruption d’une forme destinée à se défaire, à céder à la gravité mais qui n’en reste pas moins l’élan vital nécessaire à tout mouvement.
Vos dernières pièces semblent matérialiser une forme de pensée politique et militante. Comment envisagez-vous ces réflexions au cœur de votre travail ?
Effectivement il y a quelque chose qui se matérialise peut-être dans mes dernières pièces au travers des sujets qu’elles évoquent, mais pour moi c’est avant tout au travers des choix formels et esthétiques que s’exprime la dimension politique d’un artiste. En ce sens cette question a toujours été présente dans mon travail, en réaction à l’académisme d’où je viens. Elle s’exprime dans ma manière d’organiser l’espace, dans le choix des interprètes avec qui je collabore, dans le regard actif que j’espère susciter pour les spectateurs. Si j’aborde les choses plus frontalement aujourd’hui c’est que le monde qui nous entoure s’est durci et que la légèreté, voire l’irresponsabilité, qui ont été celles de ma génération ne sont plus de mise. À l’heure où j’écris ces lignes (ndlr. mars 2020), confinée depuis dix jours face à une pandémie qui met au pied du mur les logiques capitalistes qui sont en train de nous détruire, je suis comme tout le monde : rattrapée par l’urgence. Il est naturel que mon travail en porte les traces de manière plus manifeste.
Production La Spirale de Caroline
Coproduction La Ménagerie de Verre, Paris ; le lieu unique, centre de culture contemporaine de Nantes ; Chorège, CDCN de Falaise ; le 783, Nantes