
Une installation vidéo de Vimala Pons, artiste reconnue pour ses spectacles performatifs, est accueilli dans la Tour LU, à l’occasion du spectacle Honda Romance, présenté du 10 au 12 décembre.
Basé sur la macro-introspection émotionnelle et la manifestation du déséquilibre sous toutes ses formes, son travail s’exprime ici au travers d’un ensemble de 40 vidéos, de moins de 2 minutes chacune, tournées d’un point de vue subjectif. Ces images, récupérées sur une banque d’images en ligne, font dialoguer, tel un mantra, boucle mentale et visuelle. Cette première création dans le champ des arts visuels a permis à Vimala Pons de collaborer avec Danse Musique Rhône-Alpes tant pour la composition musicale que le montage.
C’est la plus belle déclaration d’amour qu’on puisse faire à quelqu’un·e ou quelque chose. C’est une promesse qu’il faut faire, mais qui ne pourra pas se réaliser. Et c’est là sa beauté. Ce ne sont pas les actions qui sauvent, ce sont les promesses. L’amour, c’est faire grandir en soi-même quelque chose qui protège l’autre personne de soi-même. Essayer de sauver quelqu’un·e de lui·elle-même est une belle promesse.
Récupérer des images existantes ou travailler avec des objets faisant partie de notre quotidien a toujours été ma démarche. Regarder un objet et écrire pour lui, scruter ses particularités, observer jusqu’à l’épuisement ce qui le définit intrinsèquement et qu’on ne remarque pas à première vue.
À travers ce travail vidéo, j’ai eu le désir de continuer cette recherche et de la transformer ; de guetter les signes du décalage entre ce qu’on voit, ce qui est donné à voir, et ce qu’on en pense.
Le principe de la post-synchronisation a toujours été une manière d’écrire pour moi. Elle permet une torsion du réel par un procédé technique artificiel mais qui nous arrive organiquement sans cesse : rendre synchrone une pensée et une image qui généralement ne vont pas ensemble. C’est un état d’observation magnétique, entre la contemplation et l’enquête. Tout le travail réside dans le fait de trouver la justesse du rapprochement de deux choses empruntées qui s’entrechoquent. Comme en amour.
La post-synchronisation a aussi été la technique que j’ai utilisée comme travail préparatoire pour mon dernier spectacle, créé en janvier 2022 : « Le Périmètre de Denver ». « I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU » est aussi une manière de donner la parole à un acte physique en épousant, par le principe du doublage, la rythmique des gestes générés par son action et la narration qu’elle induit. De l’illustration la plus pure à la dégradation de la cohérence, le récit que composent ces 40 vidéos empruntera des chemins très divers. La rupture de ton permettant de multiplier l’écho qu’une vidéo offre à une autre.
Pour cette première exposition, ma recherche s’est donc portée sur des images « clichées » récupérées sur iStock. J’ai scruté le hors-champ qu’elles proposent, l’action de deuxième plan, ou l’image inversée qu’elles induisent : c’est-à-dire scruter leur autre histoire, leur faille. Je voulais partir de cette faille pour composer ces voix intérieures et leur musique.
La musique a été composée par DMRA. DMRA est un artiste transversal. Son travail fonctionne en emprunts subtils à certaines formes de la musique mainstream ; ces compositions jouent avec la texture comme narration, il construit une image sonore qu’il n’a de cesse de renverser.
Dans la composition de ce projet, DMRA a créé une musique supportant délicatement l’état de contemplation qu’induit la répétition visuelle et le ralenti. La musique ne pouvant être séparée de l’écriture, DMRA a façonné le montage-image et les orientations d’écritures de ces 40 vidéos. Il s’agit d’une vraie collaboration.
« I PROMISE I’LL COME AND RESCUE YOU » est la somme d’histoires inventées par le biais du geste, de la tâche, ou de l’activité sportive.
Est-ce que nous sommes défini·e·s par nos actions ? Est-ce que ce sont nos actions qui nous définissent ?
J’ai essayé de comprendre comment le corps et la pensée peuvent par moments vivre des vies complètement séparées. Pendant l’écriture, j’ai cherché à atteindre un état d’hypnose légère créée par ces boucles. Le fait de les regarder et de les re-regarder change notre interprétation. Les images mentales exercent sur nous un magnétisme, tour à tour créateur·rice ou destructeur·rice du sens alloué à notre vie. J’ai décidé d’exposer ce qui est mon moteur pour écrire : les objets et les actions.
Je me suis attachée à réinterpréter les forces significatives contenues dans des situations physiques du quotidien, et à leur faire parler une autre langue.
Pourquoi se tourner vers la vidéo ?
Le déclencheur a été la découverte de « The Evil Eye » de Clément Cogitore et de « Monodramas » de Douglas Gordon. J’ai été très marquée par ces deux œuvres très différentes. En les voyant, j’ai pensé à la phrase de l’astronaute David Wolf de retour de son voyage de 120 jours sur la station Mir : « Vos sensibilités sont tellement augmentées car elles ont été absentes pendant tant de mois. » Ces deux films ont eu un énorme impact sur moi.
Les œuvres de deux autres artistes vidéastes m’ont portée à travers ce projet : celles d’Alex da Corte et de Rachel Rose.
« La vidéo était un endroit où je pouvais être plus consciente, sensible à ce que j’avais expérimentée. » Rachel Rose
« Video can live in places where object can’t. The burden of object can be too much. » Alex Da Corte
La vidéo m’apparaît comme un moyen de comprendre qui on est, c’est un outil introspectif, il permet de se prendre en tant que cobaye pour le reste de l’humanité. La vidéo d’art n’est pas un moyen d’exprimer ce qu’on est soi, c’est un moyen de partir à la recherche de ce qu’on est toustes. C’est une mise en commun, ce n’est pas un moyen d’être original·e.
L’art de l’acteur est mon art. L’art de l’équilibre est mon art. C’est l’interprétation. Dans un cas l’interprétation des mots, dans l’autre l’interprétation de la gravité. L’interprétation est notre pouvoir le plus puissant. Interpréter le réel est un art, le seul. C’est ce qui nous pousse à écrire nos vies d’une façon ou d’une autre. Et réinterpréter, c’est toujours ce qu’il faut faire. La réinterprétation, c’est la métamorphose.
VIMALA PONS, mars 2024
On avait quitté l’artiste sur scène, dans une performance saisissante : portant en équilibre une voiture sur sa tête, le visage dissimulé derrière un masque hyperréaliste d’Angela Merkel, Vimala Pons se livrait à une mise à nue intégrale – ralentie par une très grande superpositions de vêtements – tout en livrant dans un long monologue, le souvenir d’un chagrin d’amour de l’ex-chancelière.
Abondamment saluée, partagée et commentée, cette scène sidérante était restée comme un des souvenirs les plus marquants de l’année théâtrale.
Mais passé la sidération, ce n’était pas la performance technique et acrobatique qui restait en mémoire, pas plus que le talent inattendu d’imitatrice de l’artiste ni son humour absurde qui emportait la salle dans un éclat de rire.
Ce qui résistait et qui dépassait de très loin la portée spectaculaire de l’évènement, c’était le gouffre existentiel qui s’ouvrait alors devant nous : cette chimère insaisissable et grotesque qui occupait la scène en se mettant à nu dans une urgence chaotique et instable nous partageait une solitude profonde, métaphysique : celle de l’apprentissage du désir, du regard de l’autre, et l’absence de réponse à ce désir. L’exhibition du corps et du savoir-faire de l’artiste camouflait en réalité une plongée intime dans l’expression d’une désolation intérieure.
Le chemin dramaturgique parcouru et le dispositif scénique déployé pour conduire à cette émotion-là reste comme une des trajectoires les plus inattendues et singulières qu’il nous ait été donné de voir sur scène. Cette mise à nu, par sa radicalité et singularité en prolongeait d’autres, toutes aussi mystérieuses et insaisissables, qui ont jalonné l’histoire de l’art : de Pina Bausch à Marina Abramovic en passant par Francisco Goya et Marcel Duchamp.
C’est aujourd’hui à travers un autre langage que celui de la performance scénique que se poursuit le déploiement de l’imaginaire de l’artiste : Vimala Pons investit la Galerie Anne Barrault avec une série de très courtes vidéos, accrochées comme autant de tableaux aux murs de l’espace d’exposition. Chacun des plans de ces vidéos est issu de catalogues de banques d’images, dont le contenu est produit de manière quasiment industrielle et consiste en des images très colorées, mouvantes, tournées en courte focale et réalisées initialement à des fins d’utilisations commerciales – principalement publicitaires.
Cette imagerie de stéréotypes répétitifs (sur le couple hétérosexuel, le monde de l’entreprise ou la cellule familiale…) est réalisée initialement de manière à provoquer un désir d’achat ou de consommation, en intégrant des montages promotionnels pour une marchandise ou une idéologie.
En revisitant par le biais du texte, de la musique et du montage cette imagerie d’un bonheur consumériste d’une classe moyenne californienne, l’artiste en offre une lecture grinçante et hallucinée. Elle vient à sa manière hanter l’artificialité des situations, pour y réinjecter tout ce que le dispositif de production en a évacué : de l’irrationnel, du désir, du doute, de la névrose et du trauma.
La vacuité des mises en scènes promotionnelles devient ici le fond de scène d’une humanité fragile, désirante et délirante, où le récit de la narratrice fait se heurter dans un maëlstrom de voix intérieures, le consumérisme, la cruauté, le divertissement de masse, la joie, le narcissisme et la pulsion de mort. Entre cinéma lettriste 2.0 et théâtre de l‘absurde Vimala Pons délaisse un instant la performance pour se faire vidéaste et entrer dans les images comme elle entre dans ses personnages : par effraction.
CLÉMENT COGITORE
Écriture, réalisation & voix off : Vimala Pons
Composition musicale originale, mix et montage : Danse Musique Rhône-Alpes
Post-production vidéo : Arnaud Pierrel
Coordination artistique et production : Adeline Ferrante
Administration, production : Mathieu Hilléreau - Les Indépendances
Production : galerie anne barrault et TOUT ÇA / QUE ÇA
Aides : avec le soutien du Centre national des arts plastiques (Cnap)
Résidences : Villa Belleville - Paris, La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie - La Brèche à Cherbourg, Le CENTQUATRE-Paris
Remerciements : Loup Gangloff, Clément Cogitore, Pacôme Thiellement, Chloé Siganos
Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons sont artistes associé·es du CENTQUATRE (Paris) et du Lieu Unique (Nantes).
Vimala Pons est artiste associée de la MC2 : Maison de la culture de Grenoble - Scène nationale et ldu Centre Dramatique National de Tours - Théâtre Olympia.
TOUT ÇA / QUE ÇA est conventionné par le Ministère de la Culture - DRAC Île-de-France.
